An environmental lens on policies for better lives
Par Elsa Pilichowski, Directrice de la gouvernance publique, et Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales
On dit que demain se construit aujourd’hui. Lorsque le président de la République française a confirmé la participation de la France à l’initiative de l’OCDE pour une budgétisation environnementale (« Paris collaborative on Green Budgeting ») en décembre 2017, il n’aurait guère pu deviner que, moins de trois ans plus tard, la budgétisation environnementale deviendrait un outil central pour amorcer une « reprise verte » de la France après une pandémie mondiale. Lors de la réunion de la Paris Collaborative on Green Budgeting qui s’est tenue au début du mois d’octobre, des responsables du Trésor français ont présenté aux délégués de l’OCDE la façon dont le gouvernement avait utilisé cet outil pour identifier des dépenses compatibles avec l’environnement afin de contribuer à l’objectif que la France s’est fixé de consacrer 30 milliards EUR de son plan de relance post-COVID-19 à la transition écologique.
Avec la mise en place d’une budgétisation environnementale ou « verte », la France peut désormais déterminer quelle incidence ont les mesures budgétaires sur les principaux objectifs environnementaux. Cet automne, le pays a présenté son premier « budget vert » parallèlement au projet de loi de finances pour 2021. Il s’agit du premier budget au monde à mesurer à la fois l’impact positif et négatif de l’action publique sur l’environnement.
La France n’est pas le seul pays à avoir recours à la budgétisation verte à l’appui pour promouvoir des mesures favorables à l’environnement dans la cadre de la réponse à la pandémie de COVID-19. Les premiers résultats d’une enquête de l’OCDE montrent que plus de la moitié des pays membres envisagent d’utiliser des instruments de budgétisation verte dans le cadre de leurs programmes de relance. Outre le système d’identification des dépenses budgétaires ayant un impact sur l’environnement utilisé par la France, d’autres pays prévoient de réaliser des évaluations d’impact environnemental et climatique de mesures individuelles ou de soumettre les mesures de relance au principe de conditionnalité environnementale. Certains, comme la Colombie, le Danemark, l’Espagne, la Lettonie et le Portugal, projettent d’aller plus loin et proposent d’évaluer l’incidence du plan de relance dans sa globalité sur les objectifs environnementaux et climatiques.
Le président irlandais de la Paris Collaborative on Green Budgeting plaisantait récemment en suggérant que la France ralentisse ses efforts de budgétisation verte pour permettre aux autres pays de rattraper leur retard. L’Irlande réalise pourtant elle-même des progrès impressionnants. En plus de mettre en place son propre système d’identification des dépenses budgétaires ayant un impact sur l’environnement, elle vient d’annoncer une hausse des prix du carbone dans le cadre de son budget pour 2021. L’Irlande reconnaît le rôle majeur que peut jouer la politique fiscale dans le cadre d’un ensemble de mesures budgétaires visant à favoriser une relance économique verte après la pandémie.
De solides outils de politique fiscale, et notamment des instruments de tarification du carbone, peuvent aller de pair avec une relance verte pour encourager des choix d’investissement et de dépenses respectueux de l’environnement et favoriser une reprise forte et durable, selon un nouveau rapport de l’OCDE. La tarification du carbone renforce les mesures de relance verte et contribue à aligner les programmes de relance traditionnels sur les objectifs climatiques, même s’ils ne sont pas explicitement axés sur la décarbonation. Compte tenu des objectifs sociaux et économiques concurrents, il n’est pas réaliste d’affecter tous les fonds publics directement aux projets verts. Par exemple, l’analyse du budget vert établi par la France montre que ses dépenses annuelles sont majoritairement « grises », c’est-à-dire qu’elles ne sont ni préjudiciables ni favorables à l’environnement. Les taxes sur le carbone ou les systèmes d’échange de permis d’émission encouragent des choix d’investissement et de consommation plus respectueux de l’environnement pour l’ensemble des dépenses publiques et privées, ce qui limite les émissions de CO2 et la pollution locale. Les ménages et les entreprises privilégieront spontanément la sobriété en carbone s’ils savent que les prix du carbone augmenteront au fil du temps, sans que les pouvoirs publics n’aient à déterminer à l’avance les technologies les plus prometteuses où les choix de dépenses les plus judicieux. Cette approche réduit le risque de générer des actifs échoués et de condamner des emplois à l’avenir.
Une réforme des taxes carbone et des systèmes d’échange de permis d’émission sera nécessaire pour engager une reprise verte. À l’heure actuelle, 70 % des émissions de CO2 liées à l’énergie provenant des économies avancées et émergentes échappent à tout impôt, et quelques-uns des carburants les plus polluants sont parmi les moins taxés. Les systèmes d’échange de permis d’émission se traduisent par des prix élevés de l’électricité et des usages industriels de l’énergie dans certains pays, mais même combinés à des taxes, les signaux de prix globaux du carbone ne sont pas conformes aux objectifs de décarbonation.
Il est possible de mettre en œuvre simultanément des politiques fiscales et des politiques de dépenses, ce qui pourrait rendre les mesures de relance verte plus acceptables du point de vue de l’économie politique. Le budget irlandais pour 2021, présenté le 13 octobre 2020, en est un bon exemple. Le gouvernement a non seulement annoncé qu’il dépenserait 8.5 milliards EUR pour aider les particuliers et les entreprises touchés par le COVID-19, mais aussi qu’il augmenterait la taxe carbone de 7.50 EUR par tonne, de 26 EUR à 33.50 EUR, tout en relevant les taux applicables aux voitures taxées en fonction de leurs émissions de CO2 et en prolongeant l’exonération de la taxe d’immatriculation des véhicules électriques. Afin de soutenir le pouvoir d’achat des groupes vulnérables, le gouvernement a également augmenté le montant de l’indemnité versée sous condition de ressources pour aider les ménages pendant les mois d’hiver. Parmi les autres mesures de dépenses destinées à assurer une transition juste figurent les investissements dans l’efficacité énergétique, la protection sociale et des programmes pilotes environnementaux dans l’agriculture.
La politique de dépenses peut préparer le terrain à l’adoption ultérieure d’une fiscalité verte. Par exemple, les mesures de dépenses qui soutiennent les programmes d’efficacité énergétique ou les subventions à la R-D qui ouvrent la voie à des technologies propres peuvent contribuer à réduire les émissions de carbone et faciliter la mise en place d’une tarification du carbone à long terme. Les instruments de politique fiscale, comme la tarification du carbone, ont la capacité d’améliorer les résultats environnementaux, tout en augmentant les recettes publiques qui peuvent être utilisées pour gérer les arbitrages entre les objectifs environnementaux, économiques et sociaux.
Faire de son mieux aujourd’hui pour préparer l’avenir implique de tirer le meilleur parti de ce que la budgétisation verte et les outils de politique fiscale ont à offrir. Le double défi que représentent le COVID-19 et le changement climatique est tel que ni la budgétisation verte ni les instruments de politique fiscale ne suffiront à eux seuls à faire de la reprise verte une réussite. En les combinant, les pays seront en mesure de « reconstruire en mieux » après la crise du COVID-19 et d’apporter une certitude à long terme à leur économie.
La France et l’Irlande sont membres du Paris Collaborative on Green Budgeting, aux côtés de la Grèce, du Mexique, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suisse.
Pour plus d’informations sur la façon dont la budgétisation verte et les instruments de politique fiscale peuvent favoriser une reprise verte, voir la synthèse complète de l’OCDE. La page web de l’OCDE consacrée à la reprise verte met en exergue cette synthèse et d’autres travaux de l’OCDE portant sur la reprise verte.